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Interview

Incendies de Tchernobyl : entretien avec Bruno Chareyron (CRIIRAD)

Lorrie 21 avril 2020


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Depuis début avril, d’importants incendies ont cours dans la zone de l’ancienne centrale nucléaire de Tchernobyl, zone très contaminée par les retombées de l’explosion de 1986. La situation est-elle sous contrôle aujourd’hui ? Que doit-on craindre ? Peut-on avoir confiance en les autorités ukrainiennes, mais aussi françaises en matière de transparences de données ? De quelle manière gérer un risque nucléaire en pleine période de crise sanitaire ? Nous avons posé toutes ces questions à Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et directeur du laboratoire de la Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité (CRIIRAD). Cette association est née en 1986 au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl, à l’initiative d’un groupe de citoyens révoltés par les mensonges officiels et qui souhaitaient connaître la vérité sur la contamination réelle du territoire français.  

Monsieur Bruno Chareyron, vous êtes responsable de laboratoire à la Commission de Recherche et d’Information indépendantes sur la Radioactivité (CRIIRAD). Vous avez publié la semaine dernière plusieurs rapports sur les récents incendies qui se sont déroulés autour de l’ancienne centrale nucléaire de Tchernobyl en Ukraine. Centrale qui, rappelons le, a été définitivement fermée suite à l’accident qu’elle a subit en 1986.

Tout d’abord, pouvez-vous nous dire, en quelques mots, ce qu’est la CRIIRAD, comment cette association est née, et quelle est son activité principale aujourd’hui ?

La CRIIRAD, c’est la Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité. C’est une association à but non lucratif, qui a son propre laboratoire de contrôle de radioactivité et qui a été créée en 1986 pour faire face aux mensonges de l’État français qui avaient complètement minimiser l’impact, à l’époque, de la catastrophe de Tchernobyl. Son activité principale aujourd’hui c’est de contribuer à améliorer les connaissances et informations des citoyens par rapport à la radioactivité, quelles que soient les sources de radioactivités, naturelles, artificielles, dans notre environnement.

Plusieurs foyers se sont développés ces derniers jours à proximité de l’ancienne centrale nucléaire de Tchernobyl. Pouvez-vous nous faire un point sur la situation en Ukraine aujourd’hui, lundi 20 avril 2020 ?

Alors aujourd’hui, le 20 avril, si on regarde les cartes satellites mises en ligne par la NASA – donc jusqu’à ce matin 9H – il y a toujours des incendies, y compris dans des zones qui sont très contaminées, qui ont été très contaminées par les retombées de 1986. Mais au plus près de la centrale de Tchernobyl, ces incendies ne sont plus là. Le plus proche était dans un rayon de l’ordre de trois kilomètres. Donc, la situation n’est pas résolue, il faut rester très vigilant et suivre ça de près en permanence dans les jours qui viennent, mais aujourd’hui c’est moins inquiétant qu’à d’autres moments de ces derniers quinze jours.

Qu’en est-il des risques pour la France ?

Alors, il faut toujours être prudent, mais disons que pour la France, à la fois par apport aux mesures qui sont disponibles, de radioactivité, de césium dans l’air, particulièrement en Ukraine ou dans les pays proches, par exemple la Suisse ; par rapport aux modélisations qu’on a pu faire, par rapport aux modélisations qu’a fait l’IRSN avec des moyens de calculs extrêmement puissants, on peut être vraiment rassurants sur la France. C’est-à-dire que, pour l’instant nous nous n’avons pas mesurer le césium 137, dans les chiffres de nos balises en vallée du Rhône, ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu, ou qu’il n’y en a pas, mais que les niveaux sont vraiment très faibles et ne nécessitent pas de mesures ou de précautions particulières. Là on est sur un impact en tout cas pour la France, qui est vraiment très faible. Ce qui n’est pas le cas évidemment pour les pompiers qui interviennent sur place ou pour les habitants des zones les plus proches où là l’impact peut être dans certains cas beaucoup plus significatif, c’est évident.

Quels risques pour les populations proches ou les pompiers en activité dans cette zone ?

Alors ce sont deux choses différentes. Pour les pompiers d’abord, il y a un nombre très important de pompiers, puisque dans le week-end il y a eu plus de 1300 forces qui ont été mobilisées, pompiers et militaires, donc c’est un engagement important. Les risques pour eux sont de deux types. Premièrement ils interviennent parfois sur des territoires qui sont très irradiants.  Et puis il y a des endroits où la radioactivité peut être dix fois supérieure à la normale. Et d’après nos propres mesures plus adaptées, on avait découvert des lieux disons 2000 fois supérieurs à la normale. Donc ça c’est le premier point, le deuxième c’est l’inhalation évidemment de micro particules radioactives, de césium 137 et de plutonium. Donc on peut dire que selon certains scénarios et pour ces incendies, il est possible que certains pompiers aient dépassé ou dépassent la dose maximale annuelle admissible. Alors pour en être certain, il faudrait avoir accès à des données que nous n’avons pas, sur la concentration réelle en césium et en plutonium dans la zone et sur les doses, les taux de radiation émis aux endroits exacts où sont les pompiers. Après pour les populations riveraines, on est sur des impacts qui ne sont pas négligeables du tout, à la fois par inhalation mais aussi ensuite par l’ingestion. Parce que les poussières radioactives qui sont dans l’air se déposent sur la végétation, sur les sols. Et dans des zones où les gens ont pas mal recourt aux cultures locales (ce sont des territoires relativement pauvres) et bien se rajoute à l’inhalation de particules radioactives, l’ingestion. Donc on reste bien sûr dans ce qu’on appelle des très faibles doses, mais c’est un impact qui se rajoute, que ces incendies rajoutent à celui que subissent déjà en permanence les populations qui sont contraintes de vivre dans des territoires qui sont parfois très contaminés.

Peut-on avoir confiance, sur le plan logistique, en les autorités ukrainiennes pour la gestion de ces incendies ?

C’est une question qui est difficile. Nous on n’est pas sur place. C’est sûr qu’ils ont à faire à des difficultés qui sont vraiment importantes : à la fois ils doivent intervenir sur des zones qui sont radioactives, donc c’est un problème pour la protection des pompiers, il y a des forêts qui sont difficiles d’accès. Après, on peut effectivement déplorer le fait que ces incendies durent depuis au moins le 4 avril et que compte tenu des risques que ça représentent on aurait pu espérer qu’ils soient éteints plus rapidement. Maintenant c’est certainement quelque chose qui était très difficile à gérer. En tout cas ce qui est certain c’est que pour l’avenir, dans la mesure où ce type d’incendie va fatalement se multiplier avec le changement climatique il faut évidemment que les autorités sur place puissent bénéficier de moyens beaucoup plus importants pour faire face de façon beaucoup plus rapide.

Peut-on faire confiance en ces autorités ukrainiennes, mais aussi françaises, en terme de transparence des informations ?

Le problème c’est toujours le même, c’est que, quand on est en situation de crise comme celle-ci, c’est extrêmement difficile pour nous d’avoir accès à des informations, parce que finalement il y a très peu d’informations disponibles sur les taux de radiation, sur la zone, sur l’emplacement des capteurs de mesures, sur les taux de radiation dans l’air, et donc ça rend l’appréciation de la situation particulièrement complexe. Et ça c’est quelque chose que nous dénonçons depuis des années, les citoyens n’ont pas aujourd’hui, suffisamment accès à des mesures en direct du taux de radiation et ça n’est pas normal. Ce n’est pas normal que des populations qui vivent dans ces zones n’aient pas accès à des résultats de capteurs de mesures rapides, fiables et précis.

En pleine crise du Coronavirus, quelles sont les perspectives d’intervention en cas de risques majeurs, notamment autour de la gestion du nucléaire dans notre pays ?

Évidemment, une catastrophe nucléaire, par définition, est quasiment ingérable. Ce sera le cas en France, les exercices de simulation et d’entraînement le montrent : personne n’est réellement prêt à faire face à une catastrophe nucléaire. Et la situation du Covid-19 complique tout ! Par exemple, s’il fallait regrouper les gens pour les évacuer dans un gymnase, pour les mettre à l’abri, ce serait complètement incompatible avec le fait que les gens ne soient pas proches les uns des autres à cause du Covid. Par ailleurs, il y a toute une série de services, en particulier de santé, qui sont déjà complètement saturés à cause de la crise du Covid, et qui ne seraient pas disponibles en cas de nécessité de traiter des patients irradiés. Donc, évidemment, une catastrophe ou un incident nucléaire en ce moment serait beaucoup plus difficile à assumer, enfin à prendre en charge, que hors crise du Covid-19. On le voit bien, nous, en tant que laboratoire indépendant, notre capacité d’action existe toujours mais est beaucoup plus lente du fait des difficultés à se déplacer, à être en laboratoire, etc.

Lien vers le site internet de la CRIIRAD : https://www.criirad.org

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Lorrie

Lorrie est journaliste à Radio Gi·ne.

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